Animation
9
Scénario
7
Musique
8
Émotion
10
8.5
Trois ans après le magnifique Ame et Yuki, les enfants loups (2012) qui naissait de l’envie du cinéaste Mamoru Hosoda d’avoir des enfants, son nouveau film, LE GARÇON ET LA BÊTE est la réponse directe à la naissance de son premier fils. Poursuivant ainsi son étude de l’enfance autour de réflexions et de thématiques toujours plus intimes, LE GARÇON ET LA BÊTE s’avère être une œuvre d’une clairvoyance sidérante qui doit, une bonne fois pour toute, attester de l’immense talent de ce cinéaste, successeur logique du maître Hayao Miyazaki.
LE GARÇON ET LA BÊTE est une sorte de synthèse de tous ses précédents films (Summer Wars, La traversée du temps) et se propose comme étant l’aboutissement d’une réflexion longue de dix ans autour de la problématique : comment transmettre ses valeurs à notre époque ? Alors que Les enfants loups dessinait le portrait d’une famille unie dans la tragédie, où chacun des enfants finissait par embrasser sa propre destinée, le nouveau film d’Hosoda continue de disséquer ces rapports de transmission de valeurs et de filiation qui, dans une époque contemporaine totalement désincarnée, semblent de plus en plus ténues.
Avec l’acuité d’un anthropologue, voire d’un psychologue, Hosoda livre probablement ses scènes les plus dures, et les plus critiques à l’égard du monde contemporain, en particulier du monde urbain et capitaliste. À l’image de l’enfant Ren/Kyuta, sorte de héros-boiteux, qui cherche à fuir ce monde de dégénéré, car abandonné de tous. Ilretrouve, par l’apparition miraculeuse de la bête Kumatetsu, une figure tutélaire, prête à lui servir de père d’adoption. Carcomme souvent chez le réalisateur, les personnages principaux sont tous des « orphelins », qu’ils soient humains ou bêtes. Cette quête des origines, ce désir de trouver sa place dans le monde, reste le principal leitmotiv des récits fabuleux d’Hosoda. Parfois violent, souvent électrique, leur relation est à la fois intense et belle. Faite d’engueulades et de moqueries, elle traduit le problème de communication dont souffre ce type d’individus. Mais la communication, et par conséquent l’éducation, peut parfois prendre d’autre traits que la simple parole, et lorsque Kyuta parvient à imiter les mouvements de Kumatetsu par le simple son de ses pas, Hosoda crée un «espace-temps» qui leur appartient à tous les deux et les lie à jamais. Toutes les scènes qui constituent le cœur de l’entraînement de Kyuta sont d’une intelligence visuelle remarquable.
Lorsque Kyuta s’en va retrouver son père biologique, Hosoda laisse brusquement de côté la fable, c’est-à-dire tout ce qui concerne l’initiation du jeune héros, pour nous plonger dans un naturalisme bluffant, où remords et non-dits viennent obscurcir le tableau. Ce mélange de tonalités et de sentiments donne son aspect protéiforme au film. La fable et ces ornements plaisants (l’humour, l’hommage au film de sabre, la légende des Seigneurs) viennent se confronter à des scènes d’un réalisme saisissant qui, de par leur nature dramatique (Kyuta redevient un simple enfant perdu), laissent planer un voile terrible : une déshumanisation de la société illustrée par les nombreuses caméras de surveillance qui sillonnent la ville, et par cette surpopulation, masse informe, où les gens ne s’observent plus, tracent leur route sans prêter attention à ce qui se passe autour. Un monde dépourvu de poésie, incapable de regarder au travers des choses, où seules les enseignes de marques viennent décorer et illuminer un univers de faux-semblant, d’illusions, aux couleurs criardes et vulgaires.
«Hosoda a cette faculté innée d’exalter et de transcender la moindre idée scénaristique et d’en faire une prouesse visuelle.»
Le génie d’Hosoda est peut-être à aller chercher dans cette direction. Dans son rapport politique aux images qu’il immisce dans sa fable. Il a également cette faculté innée d’exalter et de transcender la moindre idée scénaristique, et d’en faire une prouesse visuelle. Et lorsque l’on sait que dans ses films, les idées foisonnent à chaque plan. Le résultat est souvent renversant. Mais le lyrisme d’Hosoda atteint des sommets lors de ses fameuses ellipses, autrement dit tous ses plans où le temps passe en quelques secondes, tant elles parviennent à synthétiser et à cristalliser la teneur dramatique qui s’y joue (lorsque Iozen, le rival de Kumatetsu, ment ouvertement à son fils Ichirōhiko lui promettant, un beau jour, des dents de cochon comme son père). Et que dire alors des chorégraphies de combat, où film de sabre et manga trouvent une seconde jeunesse dans l’animation d’Hosoda. Sa mise en scène fait ainsi la part belle au bruitage sonore ; cinéma hyper-sensoriel, il s’amuse des codes de représentations des duels : les transformations/mutations des Bêtes qui, en l’espace d’un instant, sont capables de décupler leur force en concentrant leur Qi, rendent les duels passionnants et surprenants.
Ravissement des yeux et des oreilles, ces duels, rappellent ceux, plus ludiques, de Summer Wars, mais conservent une rigueur, qui émane de tout un pan du cinéma classique japonais. Véritable hommage au film de sabre des années 1950 et 1960, les vertus samouraïs, comme celle du sabre rangé dans son fourreau, sont mises en avant. Comme par exemple, cette idée du sabre, comme prolongement de l’âme et du cœur, que reprend et matérialise le génie visuelle d’Hosoda, sous la forme symbolique de l’incarnation de Kumatetsu en sabre. Mais sous ces lubies visuelles, c’est bien le thème de la filiation, poussé à l’extrême par Hosoda qui n’a jamais peur de la symbolique et de l’allégorie, qui refait surface. À l’image encore de la baleine, miroir de l’âme pervertit du héros, revu et corrigé par le cinéaste qui n’hésite plus à puiser dans toutes les mythologies populaires, qu’elles soient orientales ou occidentales. Le spectateur n’est donc plus surpris de voir l’affrontement légendaire du capitaine Achab contre Moby Dick retranscrit, et enrichit (façon manga ultra-spectaculaire), par l’univers foisonnant d’Hosoda.
Cinéaste d’une générosité peu commune, ses animes sont portés par une ambition démesurée : ils se déroulent sur plusieurs années et sont remplis de personnages et de petites histoires à conter. Mais les conflits passionnels restent toujours universels. Ici, c’est la part ténébreuse présente dans chaque être humain, toujours prête à exploser telle une bombe à retardement, qui sert de soubassement moral à la fable. Et si l’overdose créée par cette hystérie visuelle n’est jamais très loin, son cinéma est d’une telle sincérité et d’une telle vitalité, qu’il réussit toujours à se rattraper et à émouvoir par un détail ou un simple regard.
Tandis que la morale de la fable, qui embrasse dans un même mouvement de vertus telles que le respect, l’amour, l’amitié et le partage, ne vient jamais réduire la charge évocatrice des images déchirantes du cinéaste. Il y a quelque chose de presque magique, surnaturel dans son cinéma qui dépasse l’entendement d’une morale bienveillante. On est porté par un mouvement salutaire, libérateur, à l’image de cette caméra subjective virevoltante qui trace sa route et que rien ne semble pouvoir arrêter. C’est bien que le style d’Hosoda est mouvant, évolutif, à l’instar de ses fameux panoramiques et travellings latéraux qui jouent sur les hors-champ et les transitions elliptiques : il désamorce le spectaculaire pour revenir à l’essentiel, celui d’un regard, à la fois tendre et compréhensif, de l’être aimant. Cette aide, toujours cette entraide, le film n’en démord pas. Si bien que Kyuta réussit à combattre sa faiblesse d’être humain – son refoulement de n’être qu’un simple orphelin, imprégné d’un fort sentiment d’abandon, qui le poursuit en permanence sous la forme d’un cœur vide – car il est aidé et porté par ses proches. Il doit exhorter cette part ténébreuse de son corps, il doit la vaincre, pour aspirer à retrouver cette harmonie vitale qui se situe dans l’acceptation de sa part animale (l’éducation de Kumatetsu, le monde des Bêtes qui l’a recueilli) et de sa part humaine (son père biologique, le monde des humains qui l’a vu naître).
C’est grâce au soutien moral, tel l’ange-gardien figuré par cette petite souris, et à ce sentiment d’être aimé, de ne jamais être seul (le bracelet rouge donné par la fille qui agit comme une piqûre de rappel à l’image de la ritournelle dans Les enfants loups), qu’il parvient à vaincre ses démons symbolisés par son double maléfique. L’élévation spirituelle, l’élan sublime propre à Kyuta s’est construit tout au long du film autour de cette transmission de valeurs : après avoir appris à combattre auprès du maître (élévation du corps) et à lire auprès de la fille (élévation de l’esprit), il pardonne finalement à ses deux pères, et se libère totalement de son refoulement, faisant alors de lui un véritable héros-vainqueur.
Avec LE GARÇON ET LA BÊTE, Hosoda signe un très grand film. D’une beauté éclatante, le film conceptualise les nombreux traumas de notre époque : entre crise identitaire et problème de filiation, le film donne la plus belle des réponses, celle du partage et de l’entraide, où l’élévation sublime par l’éducation morale de nos « pères » devient l’unique moyen de lutter contre l’obscurantisme et ses penchants pervers. À ce compte-là, Hosoda rejoint la grande lignée de cinéastes japonais humanistes qui le précède, et dont la mémoire prospère à travers ses films qui continuent d’interroger le trauma post-guerre du Japon tout en l’incluant, sous de nouvelles modalités, dans un contexte contemporain, globalisé et anxiogène.
Antoine Gaudé
D’ACCORD ? PAS D’ACCORD ?
LES AUTRES SORTIES DU 13 JANVIER 2016
Carol, Creed, Bang Gang, Et ta soeur, A Second Chance, Le garçon et la bête, etc.
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Voir aussi
Brève
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• Titre original : The Boy and The Beast• Réalisation : Mamoru Hosoda
• Scénario : Mamoru Hosoda
• Acteurs principaux : Koji Yakusho, Aoi Miyazaki, Shota Sometani…
• Pays d’origine : Japon
• Sortie : 13 janvier 2016
• Durée : 1h58min
• Distributeur : Gaumont
• Synopsis : Shibuya, le monde des humains, et Jutengai, le monde des Bêtes… C’est l’histoire d’un garçon solitaire et d’une Bête seule, qui vivent chacun dans deux mondes séparés. Un jour, le garçon se perd dans le monde des Bêtes où il devient le disciple de la Bête Kumatetsu qui lui donne le nom de Kyuta. Cette rencontre fortuite est le début d’une aventure qui dépasse l’imaginaire…
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Antoine Gaudé Le cinéma est pour moi autant une évasion vers l'extérieur, vers le monde d'hier et de demain, qu'un repli vers l'intérieur, vers ces rêveries intimes et profondes qui façonnent notre moi. Voir toutes les publications Articles récents [CRITIQUE] ZOMBILLÉNIUM [CRITIQUE] MARY [CRITIQUE] IT COMES AT NIGHT [CRITIQUE] ALIEN : COVENANT FAST AND FURIOUS 8, la route de trop ? – Critique